Vous avez fait une erreur. Une
grosse erreur. Tout ce qu’il ne faut pas faire. Vous le regrettez maintenant
amèrement, mais c’est trop tard, vous y êtes jusqu’au cou, et sans échappatoire
possible, à part peut-être en simulant un malaise, mais le théâtre, c’est pas
trop votre truc. Alors voilà, il va falloir assumer et faire en sorte de vous
sortir de ce mauvais pas.
Vous avez accepté une invitation
à dîner chez des omnivores pur jus qui pensent que le véganisme est un genre de
maladie tropicale, vous connaissent à peine et ne savent donc pas quel animal
étrange vous êtes. Bien sûr, vous n’avez rien précisé lors de l’invitation,
c’est délicat tout de même : « Mais volontiers, samedi soir à 20h,
pas de problème, et vous comptez faire quoi à manger ? Une
choucroute ? Ah, c’est ennuyeux… ». Vous n’avez pas non plus rappelé vos
hôtes quelques jours avant le fameux dîner pour éclaircir les choses, parce que
c’est toujours aussi délicat: « Et cette choucroute, heu, vous la cuisinez
au saindoux, ou à l’huile d’olive ? » Mais c’est bien fait pour vous,
quelle idée aussi d’aller vous fourrer dans ce guêpier.
Arrive l’apéritif. Prévoyant, vous
monopolisez les olives et les cacahuètes, essayant d’emmagasiner les calories.
Là, vous avez encore une dernière chance de vous en sortir à peu près dignement
en allant faire un tour à la cuisine pour informer la personne aux fourneaux de
vos extravagances alimentaires et essayer de voir si vous pouvez d’une façon ou
d’une autre regrouper sur une assiette certains éléments comestibles du repas.
Demandez d’abord ce qui sent si bon (oui, même si l’odeur vous soulève le cœur,
de la politesse, que diable) : s’il s’agit d’une bouillabaisse, d’une
tartiflette ou d’une fondue trois fromages, vous pouvez retourner à vos
olives ; pas d’espoir de ce côté-là.
Si vous avez laissé les choses
s’envenimer au point de vous retrouver assis à table sans avoir abordé le
sujet, eh bien il n’y a plus grand-chose à faire pour vous. Vous filez un très
mauvais coton. Pas parce que votre assiette va certainement rester vide ;
sauter un repas, surtout après avoir avalé l’intégralité des apports quotidiens
caloriques recommandés sous forme de chips et d’amandes grillées n’a jamais tué
personne, au contraire. Mais parce que TOUT LE MONDE va remarquer que votre
assiette est vide. Et en premier vos hôtes, qui vont a) vous en vouloir de ne
pas manger ce qu’ils ont préparé b) se sentir coupables d’avoir un invité qui
n’a rien dans son assiette.
Comme bien sûr ils ne voudront
rien entendre de vos : « Mais ça n’a aucune importance, de toute
façon je n’ai plus vraiment faim » et autres : « Surtout ne vous
cassez pas la tête pour moi », il s’ensuivra une longue
exploration de la cuisine destinée à mettre la main sur quelque chose qu'ils pensent que vous
pouvez manger, et vous finirez attablé devant une boite de pois chiches d'un kilo ou un saladier de riz nature, qu’il vous faudra bien sûr terminer tout
en exprimant bruyamment votre satisfaction.
Si vous avez de la chance et
tombez sur des convives suffisamment polis (ou amorphes) pour lâcher l’affaire,
l’incident sera clos (enfin, jusqu'au dessert, lorsque vous refuserez la mousse
au chocolat…). Sinon, à l’humiliation déjà subie s’ajoutera probablement une
interminable discussion générale sur votre mode de vie lorsque le gros type
rougeaud assis en face de vous lancera, en mâchonnant son entrecôte :
« Végétalien ? Quelle tristesse… » et que vous ne pourrez pas
vous empêcher de répondre qu’effectivement, rien n’est plus follement gai qu’un
abattoir ou un élevage industriel.
Une fois rentré chez vous et
occupé à terminer une délicieuse tarte aux fraises maison, vous vous direz que
le point positif de l’affaire, c’est que la prochaine fois, vous penserez à
préparer le terrain avant de vous lancer dans ce genre d’aventure. Et
l’autre bonne nouvelle, c’est que vous n’aurez pas besoin de trouver une excuse
pour éviter de retourner manger chez ces gens, parce qu’il y a vraiment très
peu de chances qu’ils vous invitent à nouveau.