J’ai acheté un appartement en
janvier. Le genre de truc que je ne fais pas tous les jours, et qui a été précédé par une longue quête faite d’agents immobiliers,
visites ratées (un appartement en travaux sans lumière à 19h un soir d’hiver…),
listes de pour et contre et autres réflexions existentielles (est-ce que
finalement je ne veux pas plutôt vivre dans une cabane dans la forêt ?).
On couvre le plan de la ville de coups de crayon, transports en commun, quartiers pas chers mais pourris,
quartiers biens mais trop chers pour toi, quartiers qui avaient l’air bien mais
en fait non, on cherche, on cherche encore, on réfléchit, et puis un jour on y
est, on signe, et c’est là que les problèmes commencent avec LES TRAVAUX.
Je vous passerai les détails des
autres pièces et vais me concentrer uniquement sur la cuisine, histoire de
rester quand même un peu dans le thème de ce malheureux blog.
Quand on visite, en général, on
voit des apparts nickel, cuisine comprise, mais dans des quartiers où on a pas
envie d’habiter, et puis exactement l’inverse. On fait donc ce que les agents
immobiliers appellent ‘se projeter’, c’est-à-dire que planté au milieu d’un appart arrivé tout droit des années 70, ampoules comprises, on ferme les yeux et
on visualise le tout transformé par nos talents de peintre – plombier –
électricien – décorateur d’intérieur. Quelques semaines de petits travaux, et
on aura l’appartement de nos rêves. Et comme rien n’est fait, on fera tout à
notre goût, comme dirait ce cher Stéphane.
La réalité est toute autre.
Une cuisine vraie de vraie, bien
équipée, avec du plan de travail à gogo, de la place, des rangements, un grand
évier, j’en rêvais depuis une quinzaine d’années. Côté immobilier, j’ai suivi
le chemin exactement inverse à celui préconisé : T3 refait à neuf à 20 ans
(l’avantage d’être avec un gars plus âgé), et studio-kitchenette à 36. Alors
cette nouvelle cuisine, c’était l’œuvre d’une vie, fallait que ça soit parfait.
Au final, aujourd’hui, je peux dire qu’elle l’est, parfaite, mais avant, ça a
un peu donné ça :
Acheter un appartement avec une
cuisine vide à part un vieil évier surdimensionné. Prendre rendez-vous avec l’agent
immobilier pour prendre les mesures pour commander les meubles avant la
signature chez le notaire parce qu’on est pressé. Traverser la ville en bus ce
jour-là parce que sa voiture est en panne. Découvrir que l’agent ne trouve plus
les clés de l’appart. Repartir. Reprendre rendez-vous pour un soir de la
semaine. Découvrir que l’électricité a été coupée et que les mesures à la
bougie c’est pas top. Arriver finalement à prendre les mesures et voir la
cuisine de ses rêves chez Ikea.
Passer trois jours à comprendre le
fonctionnement du simulateur de cuisine et se rendre compte que les caissons
Ikea n’ont pas de vide sanitaire derrière pour laisser passer vos gros tuyaux,
ou qu’il faut commander un plan de travail sur mesure qui coûte un bras et met deux
mois à arriver chez vous. Se tourner vers d’autres fabricants de cuisine avec
vide sanitaire, repasser trois jours à faire fonctionner leur simulateur, se
rendre compte que c’est beaucoup trop cher. Aller chez Casto pour acheter des
clous et découvrir qu’ils font des cuisines, dont une qui ressemble à la belle
cuisine Ikea, avec vide sanitaire et pas trop chères. Refaire une simulation et
envoyer le résultat à son père (architecte – charpentier – menuisier) qui dit ‘Beuh’
en voyant les façades en PVC.
Accepter avec quelques réticences sa proposition
de faire lui-même les façades en noyer massif et de les poser sur des caissons
Casto. Aller prendre toutes les mesures des façades chez Casto, au millimètre
près, y compris celles du meuble hotte fixé à deux mètres du sol, et acheter
une porte de caisson pour les cotes des charnières. Passer pour une cinglée parce qu’on veut
n’importe quelle porte de n’importe quelle couleur. Envoyer le tout par la
Poste à son père à l’autre bout de la France (et passer vingt minutes au bureau de poste
parce que personne n’arrive à retrouver une règle pour mesurer le paquet pour voir s'il est hors format).
Le moment de l’installation enfin
arrivé, après peinture, pose de parquet et deux interventions du plombier pour
déplacer l’arrivée de gaz et stopper une fuite d’eau provoquée par un tripotage
excessif des tuyaux, aller acheter des charnières à clips alors qu’il faut des
charnières à vis. Rendre les charnières à clips sauf le premier paquet qui a
été ouvert. Changer de magasin, acheter des charnières à vis. Rentrer et
apprendre que celles-là ne vont pas non plus. Rendre les charnières à vis sauf
le premier paquet ouvert, torturer un vendeur pour qu’il trouve neuf paquets
des bonnes charnières. Apprendre qu’il n’en a que deux en stock.
Accepter avec
réticence l’idée géniale suivante : les façades en promo avec charnières
intégrées étant moins chères que les charnières vendues seules, pourquoi ne pas
acheter l'ensemble et récupérer les charnières. Rentrer, ouvrir les neuf paquets,
se retrouver avec un tas de façades dépareillées et inutiles et se rendre
compte qu’un paquet a été ouvert et qu’il manque les charnières. Retourner au
magasin à l’accueil, qui vous envoie au rayon cuisine, qui vous envoie au SAV,
qui veut vous renvoyer au rayon cuisine. Tomber sur le chef du SAV qui finit par
vous offrir les deux charnières (probablement parce que vous êtes manifestement
fous). Rentrer, assister au montage des portes, constater avec un enthousiasme
non dissimulé que les mesures que vous avez prises sont bonnes et que les
portes ferment. S’asseoir et se faire une tasse de chocolat.