13 mars 2016

Ma cuisine, ma bataille

J’ai acheté un appartement en janvier. Le genre de truc que je ne fais pas tous les jours, et qui a été précédé par une longue quête faite d’agents immobiliers, visites ratées (un appartement en travaux sans lumière à 19h un soir d’hiver…), listes de pour et contre et autres réflexions existentielles (est-ce que finalement je ne veux pas plutôt vivre dans une cabane dans la forêt ?). On couvre le plan de la ville de coups de crayon, transports en commun, quartiers pas chers mais pourris, quartiers biens mais trop chers pour toi, quartiers qui avaient l’air bien mais en fait non, on cherche, on cherche encore, on réfléchit, et puis un jour on y est, on signe, et c’est là que les problèmes commencent avec LES TRAVAUX. 

Je vous passerai les détails des autres pièces et vais me concentrer uniquement sur la cuisine, histoire de rester quand même un peu dans le thème de ce malheureux blog. 

Quand on visite, en général, on voit des apparts nickel, cuisine comprise, mais dans des quartiers où on a pas envie d’habiter, et puis exactement l’inverse. On fait donc ce que les agents immobiliers appellent ‘se projeter’, c’est-à-dire que planté au milieu d’un appart arrivé tout droit des années 70, ampoules comprises, on ferme les yeux et on visualise le tout transformé par nos talents de peintre – plombier – électricien – décorateur d’intérieur. Quelques semaines de petits travaux, et on aura l’appartement de nos rêves. Et comme rien n’est fait, on fera tout à notre goût, comme dirait ce cher Stéphane. 

La réalité est toute autre. 

Une cuisine vraie de vraie, bien équipée, avec du plan de travail à gogo, de la place, des rangements, un grand évier, j’en rêvais depuis une quinzaine d’années. Côté immobilier, j’ai suivi le chemin exactement inverse à celui préconisé : T3 refait à neuf à 20 ans (l’avantage d’être avec un gars plus âgé), et studio-kitchenette à 36. Alors cette nouvelle cuisine, c’était l’œuvre d’une vie, fallait que ça soit parfait. Au final, aujourd’hui, je peux dire qu’elle l’est, parfaite, mais avant, ça a un peu donné ça : 

Acheter un appartement avec une cuisine vide à part un vieil évier surdimensionné. Prendre rendez-vous avec l’agent immobilier pour prendre les mesures pour commander les meubles avant la signature chez le notaire parce qu’on est pressé. Traverser la ville en bus ce jour-là parce que sa voiture est en panne. Découvrir que l’agent ne trouve plus les clés de l’appart. Repartir. Reprendre rendez-vous pour un soir de la semaine. Découvrir que l’électricité a été coupée et que les mesures à la bougie c’est pas top. Arriver finalement à prendre les mesures et voir la cuisine de ses rêves chez Ikea. 
 
Passer trois jours à comprendre le fonctionnement du simulateur de cuisine et se rendre compte que les caissons Ikea n’ont pas de vide sanitaire derrière pour laisser passer vos gros tuyaux, ou qu’il faut commander un plan de travail sur mesure qui coûte un bras et met deux mois à arriver chez vous. Se tourner vers d’autres fabricants de cuisine avec vide sanitaire, repasser trois jours à faire fonctionner leur simulateur, se rendre compte que c’est beaucoup trop cher. Aller chez Casto pour acheter des clous et découvrir qu’ils font des cuisines, dont une qui ressemble à la belle cuisine Ikea, avec vide sanitaire et pas trop chères. Refaire une simulation et envoyer le résultat à son père (architecte – charpentier – menuisier) qui dit ‘Beuh’ en voyant les façades en PVC. 
 
Accepter avec quelques réticences sa proposition de faire lui-même les façades en noyer massif et de les poser sur des caissons Casto. Aller prendre toutes les mesures des façades chez Casto, au millimètre près, y compris celles du meuble hotte fixé à deux mètres du sol, et acheter une porte de caisson pour les cotes des charnières. Passer pour une cinglée parce qu’on veut n’importe quelle porte de n’importe quelle couleur. Envoyer le tout par la Poste à son père à l’autre bout de la France (et passer vingt minutes au bureau de poste parce que personne n’arrive à retrouver une règle pour mesurer le paquet pour voir s'il est hors format). 

Le moment de l’installation enfin arrivé, après peinture, pose de parquet et deux interventions du plombier pour déplacer l’arrivée de gaz et stopper une fuite d’eau provoquée par un tripotage excessif des tuyaux, aller acheter des charnières à clips alors qu’il faut des charnières à vis. Rendre les charnières à clips sauf le premier paquet qui a été ouvert. Changer de magasin, acheter des charnières à vis. Rentrer et apprendre que celles-là ne vont pas non plus. Rendre les charnières à vis sauf le premier paquet ouvert, torturer un vendeur pour qu’il trouve neuf paquets des bonnes charnières. Apprendre qu’il n’en a que deux en stock. 
 
Accepter avec réticence l’idée géniale suivante : les façades en promo avec charnières intégrées étant moins chères que les charnières vendues seules, pourquoi ne pas acheter l'ensemble et récupérer les charnières. Rentrer, ouvrir les neuf paquets, se retrouver avec un tas de façades dépareillées et inutiles et se rendre compte qu’un paquet a été ouvert et qu’il manque les charnières. Retourner au magasin à l’accueil, qui vous envoie au rayon cuisine, qui vous envoie au SAV, qui veut vous renvoyer au rayon cuisine. Tomber sur le chef du SAV qui finit par vous offrir les deux charnières (probablement parce que vous êtes manifestement fous). Rentrer, assister au montage des portes, constater avec un enthousiasme non dissimulé que les mesures que vous avez prises sont bonnes et que les portes ferment. S’asseoir et se faire une tasse de chocolat.