15 novembre 2015

Chroniques #1 : L'invitation à dîner

Vous avez fait une erreur. Une grosse erreur. Tout ce qu’il ne faut pas faire. Vous le regrettez maintenant amèrement, mais c’est trop tard, vous y êtes jusqu’au cou, et sans échappatoire possible, à part peut-être en simulant un malaise, mais le théâtre, c’est pas trop votre truc. Alors voilà, il va falloir assumer et faire en sorte de vous sortir de ce mauvais pas.

Vous avez accepté une invitation à dîner chez des omnivores pur jus qui pensent que le véganisme est un genre de maladie tropicale, vous connaissent à peine et ne savent donc pas quel animal étrange vous êtes. Bien sûr, vous n’avez rien précisé lors de l’invitation, c’est délicat tout de même : « Mais volontiers, samedi soir à 20h, pas de problème, et vous comptez faire quoi à manger ? Une choucroute ? Ah, c’est ennuyeux… ». Vous n’avez pas non plus rappelé vos hôtes quelques jours avant le fameux dîner pour éclaircir les choses, parce que c’est toujours aussi délicat: « Et cette choucroute, heu, vous la cuisinez au saindoux, ou à l’huile d’olive ? » Mais c’est bien fait pour vous, quelle idée aussi d’aller vous fourrer dans ce guêpier.

Arrive l’apéritif. Prévoyant, vous monopolisez les olives et les cacahuètes, essayant d’emmagasiner les calories. Là, vous avez encore une dernière chance de vous en sortir à peu près dignement en allant faire un tour à la cuisine pour informer la personne aux fourneaux de vos extravagances alimentaires et essayer de voir si vous pouvez d’une façon ou d’une autre regrouper sur une assiette certains éléments comestibles du repas. Demandez d’abord ce qui sent si bon (oui, même si l’odeur vous soulève le cœur, de la politesse, que diable) : s’il s’agit d’une bouillabaisse, d’une tartiflette ou d’une fondue trois fromages, vous pouvez retourner à vos olives ; pas d’espoir de ce côté-là.

Si vous avez laissé les choses s’envenimer au point de vous retrouver assis à table sans avoir abordé le sujet, eh bien il n’y a plus grand-chose à faire pour vous. Vous filez un très mauvais coton. Pas parce que votre assiette va certainement rester vide ; sauter un repas, surtout après avoir avalé l’intégralité des apports quotidiens caloriques recommandés sous forme de chips et d’amandes grillées n’a jamais tué personne, au contraire. Mais parce que TOUT LE MONDE va remarquer que votre assiette est vide. Et en premier vos hôtes, qui vont a) vous en vouloir de ne pas manger ce qu’ils ont préparé b) se sentir coupables d’avoir un invité qui n’a rien dans son assiette.

Comme bien sûr ils ne voudront rien entendre de vos : « Mais ça n’a aucune importance, de toute façon je n’ai plus vraiment faim » et autres : « Surtout ne vous cassez pas la tête pour moi », il s’ensuivra une longue exploration de la cuisine destinée à mettre la main sur quelque chose qu'ils pensent que vous pouvez manger, et vous finirez attablé devant une boite de pois chiches d'un kilo ou un saladier de riz nature, qu’il vous faudra bien sûr terminer tout en exprimant bruyamment votre satisfaction.

Si vous avez de la chance et tombez sur des convives suffisamment polis (ou amorphes) pour lâcher l’affaire, l’incident sera clos (enfin, jusqu'au dessert, lorsque vous refuserez la mousse au chocolat…). Sinon, à l’humiliation déjà subie s’ajoutera probablement une interminable discussion générale sur votre mode de vie lorsque le gros type rougeaud assis en face de vous lancera, en mâchonnant son entrecôte : « Végétalien ? Quelle tristesse… » et que vous ne pourrez pas vous empêcher de répondre qu’effectivement, rien n’est plus follement gai qu’un abattoir ou un élevage industriel.

Une fois rentré chez vous et occupé à terminer une délicieuse tarte aux fraises maison, vous vous direz que le point positif de l’affaire, c’est que la prochaine fois, vous penserez à préparer le terrain avant de vous lancer dans ce genre d’aventure. Et l’autre bonne nouvelle, c’est que vous n’aurez pas besoin de trouver une excuse pour éviter de retourner manger chez ces gens, parce qu’il y a vraiment très peu de chances qu’ils vous invitent à nouveau.

5 commentaires:

  1. Malaise ;-)
    Voilà pourquoi je finis par ne plus aller chez "les gens"!

    RépondreSupprimer
  2. Ca me rappelle mes débuts vg... Invitée chez l'ami de mon compagnon pour un barbecue, mon chéri a précisé que je ne mangeais plus de viande! J'ai eu un sachet surgelé de peut être 500g (enfin la portion me semblait énorme!) de poisson :(... maintenant quand je suis invitée j'amène mon repas :D

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, c'est ce que j'ai tendance à faire aussi maintenant, mais au début j'osais pas proposer...

      En même temps depuis que j'ai déménagé mes nouveaux amis sont presque tous végé ou 'sympathisants', ça simplifie bien les choses :)

      Supprimer
  3. Ben quelle idée d'aller dîner chez des gens à qui on n'ose pas parler! Pour le coup, végé ou pas, ça augure mal de la conversation...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Eh bien ce sont des choses qui peuvent arriver, si on est invité par une relation de travail par exemple, ou une connaissance de sa compagne ou de son compagnon si on est en couple... Je précise que ces chroniques sont fictionnelles, et pas des situations dans lesquelles je me suis retrouvée personnellement :-)

      Supprimer